La Baule s'est construite par et pour le tourisme: depuis Bôle à La Baule

Publié le par La-Baule-360.Reputation-3D

Né dans une famille originaire de Saint-Nazaire réfugiée à La Baule après la Seconde Guerre mondiale, Jean-Bernard Vighetti a passé son enfance sur "la plus belle plage d'Europe". Pour L'Express, ce géographe et spécialiste du tourisme raconte comment des dunes désertes sont devenues, en quelques années, la station balnéaire à succès de La Baule.

En 1879, le chemin de fer arrive dans un hameau de la commune d'Escoublac, du nom de "la Bôle". Qu'est-ce qu'on y trouve ?

Rien, à l'exception d'une caserne de douaniers infestée de puces! Ses fonctionnaires, une vingtaine, surveillent le commerce du sel de la presqu'île de Guérande et prélèvent des taxes sur les marchandises. Coincés entre les dunes de la plage et les marais salants

Le train arrive dans un paysage de dunes?

En partie, car, tout au long du XIXe siècle, on plante des pins maritimes pour arrêter la progression du sable. Celui-ci a quand même eu le temps d'ensevelir totalement le bourg du vieil Escoublac. Quand le chemin de fer est construit, ce n'est plus tout à fait le Sahara. Les arbres poussent, mais l'endroit reste isolé. 

Pourquoi construire une gare dans ce lieu quasi désert?

Par stratégie. La Bôle occupe une place centrale de la presqu'île. Et la société des chemins de fer cherche un lieu pour desservir d'un côté Guérande, de l'autre la déjà touristique ville du Croisic et si possible le bourg d'Escoublac. Ce sera au lieu dit la Bôle

On n'envisage pas encore la création d'une station balnéaire?

Il n'y a aucune arrière-pensée touristique ou commerciale derrière le choix de l'emplacement de la gare. La preuve: le premier tracé de la ligne ferroviaire longe la mer entre Pornichet et la Bôle, ce qui empêchera le développement de cette zone jusque dans les années 1920. 

Que signifie le nom la Bôle?

Terre alluviale recouverte à marée haute. Chez les paludiers, "bôle" ou "bolle" désigne encore les terres élevées au-dessus des marais. C'est une appellation locale que n'ont pas su correctement orthographier au cadastre les douaniers, étrangers à la région. Ils écrivent "la Baule" au lieu de "la Bôle". Quand en 1882, la Compagnie d'Orléans reprend la concession du chemin de fer de la presqu'île, elle rebaptise la gare en conformité avec le plan cadastral. 

Comment une simple gare se transforme-t-elle en une station balnéaire pleine d'avenir ?

Grace à la volonté de Jules Hennecart. Ce Parisien investit dans la Compagnie de l'Etat, qui construit la ligne ferroviaire. Alors qu'il visite le chantier, il découvre cette plage vierge. C'est le déclic: il décide de la transformer en station balnéaire. Il crée une ville de toutes pièces, persuadé qu'il y a de l'argent à faire ici. Avec un homme d'affaires parisien, Edouard Darlu, il fait le pari de la société du temps libre et inaugure l'aventure de La Baule

A quoi ressemble la ville que Jules Hennecart a en tête?

Il a un modèle: Blankenberge, sur la côte flamande, près de la ville d'Ostende. Il imagine une station balnéaire de bon ton, pour des familles catholiques. Hennecart est un ultramontain, qui soutient les positions traditionnelles du Vatican. Le pape Pie IX l'a même fait comte. Sur le premier plan de la ville, dessiné par l'architecte nantais Georges Lafont, on trouve déjà en bonne place la chapelle qui existe encore aujourd'hui. 

Les fondateurs de La Baule ne misent pas sur le divertissement, comme Le Croisic ou Pornichet ?

Au contraire! Hennecart et Darlu désirent se démarquer des stations environnantes. Ils leur laissent la clientèle des casinos. Quand, en 1902, le premier établissement de ce genre ouvre dans la station, la famille Hennecart -Jules est décédé à cette date- quitte définitivement La Baule en signe de protestation. 

Face au développement avancé des autres communes de la presqu'île, comment la Baule parvient-elle à attirer les touristes ?

Son atout considérable, c'est sa gare, située à 400 mètres de la plage, sur l'emplacement actuel de la place de la Victoire. Quand les Parisiens arrivent ici, ils sont tout de suite face à la mer. En cela, La Baule est la première véritable station balnéaire, au sens anglais de station: la gare ferroviaire à la mer. De plus, contrairement à Pornichet ou au Pouliguen, avec ses raffineries de sel, il n'y a aucune activité économique à La Baule. Tout se construit pour et par le tourisme. 

Et puis il y a la plage...

C'est l'autre atout majeur, bien entendu. D'autant plus que la naissance de la station coïncide avec une évolution de la mode chez les vacanciers. Aux galets chauds ils commencent à préférer le sable. 

Quand arrivent les premiers baigneurs?

En 1882. A cette époque, les guides locaux survendent l'activité de La Baule. On gonfle artificiellement le nombre de villas. On fait croire que la ville est en plein essor pour attirer le chaland. 

Qui sont ces touristes ?

Des familles en provenance de Nantes et de Paris, principalement. Des jeux pour les enfants sont installés sur le remblai. Le public de La Baule est beaucoup moins "branché" que celui de Pornichet. 

Et les habitants d'Escoublac, commune sur laquelle se trouve la station ?

Ce sont des agriculteurs qui travaillent sur le plateau de Guérande. Leurs rapports avec les touristes sont mitigés. On n'évite pas les noms d'oiseaux. Les "locaux" sont rebaptisés "culs-salés" par les vacanciers. Les touristes nantais héritent, eux, du nom de "berlingots", en référence à la production de cette friandise à Nantes. Dès 1900, Escoublac est administré par un maire qui n'est pas originaire du village. 

Les "locaux" ne profitent pas de l'essor de la station ?

Si, les saisonniers sont des gens du cru. Ils assurent le service, la blanchisserie, le ménage. Certains investisseurs et les entreprises de construction sont de Guérande, les architectes, de Nantes

Croise-t-on des vacanciers célèbres ?

Avant la création de La Baule, Honoré de Balzac, un habitué de la presqu'île, joue un rôle important pour la notoriété de la région avec ses nouvelles. L'intrigue de Béatrix se situe à Guérande. L'écrivain aurait eu une maîtresse parmi la bourgeoisie locale. Alfred de Musset vient aussi régulièrement. Plus tard, ce sera au tour de Gustave Flaubert d'écrire sur la zone dans des carnets de voyage avant l'heure. La presqu'île attire les romantiques tout au long du XIXe siècle. Ils recherchent l'inspiration devant les grands horizons, pour exprimer leur mélancolie. 

Quelle est l'histoire de l'hôtel Royal, premier casino de La Baule en 1902 ?

Avant d'être un temple du jeu et un palace, cet imposant bâtiment, qui existe encore aujourd'hui, est un centre qui se consacre aux enfants tuberculeux de riches familles et s'appelle l'institut Verneuil. Joseph André Pavie, un ancien avocat parisien, est à son origine. Il espère vendre aux parents des malades les maisons alentour. Sous des dehors philanthropiques, il élabore une opération lucrative. Mais c'est un échec. Il réoriente alors l'activité du bâtiment en hôtel de luxe et accueille dans une annexe -le futur casino- un orchestre de 12 musiciens. On y donne trois concerts par jour, mais aussi des bals, des représentations théâtrales, et on s'adonne aux jeux d'argent. 

La physionomie de La Baule s'en trouve-t-elle bouleversée ?

Oui. D'autant plus que Pavie ne se borne pas à attirer de nouveaux touristes avec son casino. Il fait entrer la station dans la modernité: électricité, télégraphe, goudron, omnibus, ascenseur. Il fait feu de tout bois! En 1907, il ressuscite un petit train qui longeait le front de mer jusqu'en 1902. Le quartier qu'il développe compte 90 villas en 1911. 

Cette modernité encouragera François André, fondateur du futur groupe Lucien Barrière, formé au casino d'Ostende, à s'installer à La Baule après la Première Guerre mondiale. Et à transformer l'essai de Pavie en reprenant son établissement et en misant toujours plus sur le divertissement. 

Comment la ville traverse-t-elle la guerre de 14-18 ?

Bizarrement, la guerre profite à la renommée de la station. Les Britanniques et les Américains investissent la station pendant leurs permissions. Ils sont à deux pas de Saint-Nazaire, l'un des plus importants ports de débarquement des troupes alliées. Les Anglo-Saxons tombent sous le charme de La Baule. Ils y reviendront en vacances après le conflit. 

source : https://www.lexpress.fr/region/la-baule-s-est-construite-par-et-pour-le-tourisme_609343.html

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article